Pour le livre 50/52
11-13 Édition
Perceptions
Léa Dumayet explore les possibilités de la matière (métal souple, verre, textures iconiques fixes et en mouvement, sons, matières organiques...), de l'énergie lumineuse et de l'ombre, pour construire des structures plus ou moins éphémères, souvent recyclables (Ondée, 2015 ; Nuée, 2015 ; Hybride, 2015 ; Transport, 2014). Léa Dumayet voyage et recueille dans les paysages et situations traversés des fragments d'états de nature, qu'elle traduit également en vidéos, en photographies montées sur caissons lumineux (Météore, 2015 ; S'agitent, 2015 ; Notes, 2011-2015). Ainsi, les lianes des forêts brésiliennes laissent leur trace dans les réseaux qu'elle dessine avec le métal (Passage, 2015 ; Dessin, 2014). Les réactions des visiteurs face à ses grandes pièces, apparentées à la sculpture, sont bienvenues. Et la brièveté des titres correspond, d'une certaine façon, au contact direct qu'implique la présence des œuvres, dont la fragilité contraste avec leur ampleur. Les installations, pénétrables, conçues pour attirer, peuvent comporter une part de danger. Si l'on est invité à les toucher ou à les effleurer, c'est pour mieux les découvrir. Selon Léa Dumayet, la rencontre commence véritablement à ce moment-là.
Léa Dumayet espère un dialogue, une émotion chez le visiteur qui découvre les installations aléatoires, instables, qu'elle propose au regard, aux sens (Ondée, 2015). Les instabilités volontaires que l'on perçoit complètent celles des autres éléments de sa quête : objets trouvés, retrouvés, troublés et ludiques.Tous expriment la fluidité des hasards, les implications techniques, une volonté artistique : comment la pièce unique devient-elle une matière imprévisible et vivante (aux perceptions multipliées par des suites - et non des séries ) ? Comment joue-t-elle avec la tension pour prendre son autonomie ? Lignes, formes courbes, volumes dessinés dans l'espace, couleurs du métal, moirures, reflets lumineux, surfaces froissées, profondeurs... tentent de percevoir les possibilités du vide, de faire ressentir son énergie. Un vide physique, peut-être métaphorique, dans lequel l'identité d'une jeune artiste s'élabore au fil des expériences, ici et là, en produisant des temps différés.
Léa Dumayet aime le silence lorsqu'elle travaille. Elle agit vite, après avoir longtemps mûri son geste : elle sangle les formes métalliques, dépose le verre brisé, froisse les feuilles de Myrolège, diffuse en vagues récurrentes le son de ce verre qui éclate comme des gouttes de pluie. Elle crée des contextes de perception variés. Et sa singularité réside dans sa détermination à se confronter au grand format, à tisser des liens aux limites de l'abstraction, dans une forme paradoxale de retirement dans l'atelier et d'échange. Le Myrolège - récupéré d'une partie d'une œuvre d'Olafur Eliasson à la Fondation Vuitton -, elle en déploie la translucidité et l'effet miroir, les travaille, pour fabriquer des rencontres entre matériaux. Elle aménage leur suspension et laisse percevoir le passage ludique de corps fugitifs anamorphosés. Et quand l'humour se glisse dans des pièces monumentales, elles flirtent alors avec l'absurde. Sa perception du volume, ce qu'elle en propose, est au bord de la chute, du déséquilibre. Léa Dumayet commence à s'éloigner des leçons de Richard Serra, d'Alexander Calder ou encore de Markus Raetz, artistes qui l'ont souvent inspirée. Par ailleurs, elle dit « casser facilement les choses », depuis toujours, par maladresse. Mais cette maladresse semble habilement convertie en signes maîtrisés, adressés à notre résistance aux accélérations du temps.
Léa Dumayet prend le risque excitant de déplacer la gravité des choses, pour affiner notre perception de la matière, et au fond de nos corps dans l'espace, à l'instant même où nous acceptons d'en prendre conscience. Au fil des récoltes de documents sur Internet, des déplacements, au moment de l'assemblage de matériaux hybridés - avec encore quelques vortex du Land Art en mémoire -, Léa Dumayet construit la densité d'un état artistique à la fois provisoire et persistant. Et la fascination de l'artiste pour les propriétés de l'eau en sous-tend la ductilité. La perception des formes naturelles choisies par Léa Dumayet s'actualise dans une conversation secrète : celle du processus créatif « infra-mince » où s'épousent l'organique et l'industriel. L'un peut s'effacer au profit de l'autre, et vice-versa, peu importe, le geste fédérateur de l'artiste et ses regardeurs auront le dernier mot.
Hélène Sirven