Par Pauline Lisowski pour le magazine The Steidz
EXPOSITION // À la galerie Laure Roynette, à Paris, trois artistes développent chacune une recherche sur l’équilibre, la tension, le rapport aux matières et à leur tenue dans l’espace. De leur expérience artistique et leurs découvertes au Brésil, Julia Gault, Célia Coëtte et Léa Dumayet s’unissent ici pour interroger leur pratique de sculptrice ainsi que les relations entre nature et industrie.
Le titre de l’exposition, Pororoca, fait référence à un phénomène naturel de rencontre entre deux eaux. Sa sonorité convoque également un bruit, un son, une parole. Une forme d’énergie semble être contenue à l’intérieur de ce mot. Les œuvres des trois artistes prennent appui du sol aux murs de la galerie Laure Roynette, trouvant leur place à différents niveaux. Elles la redessinent, créant une nouvelle perception de celle-ci. Courbes, éléments en superposition, systèmes d’accroche et de soutien, des rapports de justesse et de position dans l’espace se donnent ici à voir. Une sensation d’un potentiel basculement émane de leurs pièces.
Célia Coëtte crée des sculptures où elle met en forme des matériaux de construction pour leur donner une apparence organique. « Les éléments qui traversent le temps m’intéressent », précise l’artiste. Chez elle, les matériaux et ses sculptures proposent des ouvertures à des récits. Une pièce de la série Septième ciel nous incite à regarder vers le haut. L’envie de travailler sur un ciel étoilé lui vient de l’image du faux mausolée construit pour Héloïse et Abélard au musée des Monuments Français. Aussi, elle s’est emparée librement du mythe d’Héloïse et Abélard dont l’histoire oscille entre amour libre et passionnel et frustrations et religiosité. L’artiste met ici en évidence la dimension organique et la symbolique de la coquille Saint-Jacques. Une canne de pèlerin accompagne chaque coquillage étoilé. Cette série d’œuvres dessine alors une route, qui change selon les emplacements des coquillages dans les lieux qui les accueillent. La plasticienne propose également aux spectateurs de s’approprier les formes qu’elle compose avec les éléments qu’elle ramasse, qu’elle agence et dont elle modifie l’aspect pour interroger leur fonction. Un dix juillet comme un autre est une oblique qui réinvente le volume de la galerie. Ses sculptures fonctionnent comme des réceptacles pour accueillir d’autres éléments. En utilisant des matériaux de l’ordre de l’architecture, elle convoque les notions de croissance, de jardin, la figure de l’arbre. Une tension entre naturel et industriel, entre rigueur et fluidité, naît de ses œuvres.
De leur côté, les sculptures de Léa Dumayet dessinent dans l’espace. L’architecture des lieux l’amène à donner du mouvement aux matériaux qu’elle rencontre. Elle utilise la tige de métal pour sa souplesse et sa légèreté. Elle « écoute la matière », dit-elle. Ses pièces incarnent un élan et renvoient à son propre corps. Elles convoquent également un contraste entre les matériaux, une tension et un équilibre. L’artiste affirme l’enjeu de « créer du naturel avec de l’artificiel et inversement ». Son travail est de l’ordre du kit, où les matériaux peuvent donner naissance à d’autres œuvres selon les espaces. Obligé à rien est la rencontre entre une plaque de métal pliée et le poids d’une pierre. Ce soutien mutuel guide la forme. Onde là 1 crée des lignes organiques au sein de la galerie. Les œuvres de Léa Dumayet évoquent un potentiel déplacement et incarnent des tensions entre des matières. Elles révèlent une énergie contenue dans le tracé, créé par la mise en forme de sa tige de métal.
Julia Gault s’intéresse, elle, aux phénomènes d’effondrement, de basculement ; des mouvements où la nature révèle sa puissance et sa fragilité. Ses œuvres font référence aux relations que l’Homme entretient avec son environnement et aux manières de construire. Où le désert rencontrera la pluie nous fait songer à un possible débordement et les éléments en terre de faïence suggèrent l’arrivée d’une crue. Des pièces plus petites et discrètes nécessitent une attention plus aigüe de la part du visiteur. Tenir debout, un ensemble de cannes en porcelaine d’un même blanc que celui des murs, renvoie à la fragilité de la posture humaine. Ces pièces nous font songer à un basculement possible, à un point de rupture. « Chaque canne a ses défauts liés à sa fragilité », précise l’artiste. Un dialogue avec Question d’adresse de Célia Coëtte dans l’idée de tenir debout. La sculpture Mémoire de failles 48°53’54.0’’N 2°23’06.7»E18/03/18 paraît, elle, ancrée à même le mur comme faisant partie de la galerie. Chez cette artiste, le rapport au corps se révèle dans sa manière d’ériger ses sculptures. La ligne apparaît aussi chez elle au travers du mouvement vertical descendant, des « lignes de forces » présentes dans l’architecture et dans la nature.
Des porosités apparaissent au travers des pratiques des trois artistes. Du fer à béton chez Célia Coëtte, des tiges de métal chez Léa Dumayet, jusqu’aux bidons en terre de faïence crue chez Julia Gault. Le trio a également créé des pièces à six mains : Faire le poids et Souffle coupé jouant sur les relations entre leurs objets. Elles ont chacune donné leurs gestes respectifs en apportant leurs matériaux. Leurs œuvres témoignent d’une forme d’écologie, de symbiose où l’une apporte à l’autre. Celles-ci reflètent un équilibre entre leurs trois démarches de sculpteur et chacune des artistes peut y proposer son propre discours. Ainsi, l’accrochage nous incite à approcher avec soin les pièces, à être à distance tout en promenant son regard du sol vers le haut. Le corps est présent dans ces trois pratiques de sculptures et apparaît en négatif dans les œuvres. Les repères habituels de l’espace sont bousculés et nous sommes conviés à trouver notre place parmi les sculptures. //
Exposition Pororoca byJulia Gault, Célia Coëtte & Léa Dumayet
Jusqu’au 28 septembre 2019 at galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny 75003 Paris
www.laureroynette.com